Henri Verneuil
Réalisateur et scénariste français
(Rodosto 1920 ~ Paris 2002)
Extrait du film I comme Icare
Le procureur Henry Volney et le professeur David Naggara,
assis derrière une vitre sans tain,
observent et écoutent deux autres personnes qui se trouvent dans une grande salle, et qui
participent à une expérience scientifique sur la mémoire. L'un d'eux, qui joue le rôle du moniteur,
est installé à un pupitre équipé de curseurs destinés à envoyer une décharge électrique à l'autre,
jouant le rôle de l'élève - et qui est attaché à une chaise -, si celui-ci ne retrouve pas le mot
associé à un adjectif parmi une liste de trente combinaisons qui lui a été précédemment lu par la
personne du pupitre. Cette expérience doit prouver que la punition améliore la mémoire de celui
qui la reçoit. Les décharges électriques progressent par tranche de 15 volts, jusqu'à 450 volts.
(Cette expérience est une adaptation cinématographique des expériences, et de leurs résultats authentiques,
réalisées par le psychologue social américain Stanley Milgram)
Procureur Henry Volney :
Comment recrutez-vous vos candidats professeur ?
Professeur David Naggara :
Par une annonce dans les journaux locaux dans le style voulez-vous gagner 6 dollars avec
indemnités de transport en échange d'une heure de votre temps. Nous recrutons volontaires pour
participer à une expérience scientifique sur la mémoire.
Procureur Henry Volney :
Quand Daslow s'est présenté, quel rôle jouait-il dans votre expérience ? Moniteur ou
élève ?
Professeur David Naggara :
Moniteur monsieur le procureur. Il occupait la place de monsieur Despaul.
Après que l'élève ait reçu 15 volts, puis 30 volts.
Procureur Henry Volney :
Vous croyez sérieusement que ces chocs électriques vont aider monsieur Rivoli à améliorer sa mémoire ?
Professeur David Naggara :
La mémoire de monsieur Rivoli ne présente ici aucun intérêt. Ce qui nous intéresse, c'est la capacité d'obéissance de
monsieur Despaul. Sa soumission à l'autorité. L'autorité pour monsieur Despaul, c'est le cadre de cette université, le
professeur Flavius, moi-même, et nos blouses blanches qui sont les symboles de cette autorité. Nous venons de lui imposer un
code de punition à infliger à une victime qui ne lui a rien fait. Jusqu'où va-t-il obéir à cet ordre imbécile et révoltant que
nous venons de lui donner. Tout le problème est là.
Alors que le moniteur s'apprête à envoyer 165 volts à sa victime.
Procureur Henry Volney :
Mais enfin il ne va tout de même pas aller jusqu'à 450 volts !?
Professeur David Naggara :
Je n'sais pas. Voyez-vous il est évident qu'à partir d'un moment monsieur Despaul va devoir affronter un problème. D'un côté
sa soumission à l'autorité, exécuter la mission qui lui a été confiée. De l'autre, sa répugnance à faire souffrir sa victime.
Despaul va être progressivement secoué par un conflit intérieur presque insoutenable. Pour se tirer de cette situation, il devra
rompre avec l'autorité, et désobéir. C'est l'instant de cette rupture que nous étudions.
Alors que le moniteur fait des gestes à sa victime afin de l'aider à trouver le
mot associé à l'adjectif qu'il vient de lui lire.
Professeur David Naggara :
Regardez bien ! Despaul essaie de diminuer son conflit intérieur en aidant sa victime.
Procureur Henry Volney :
Enfin ! si ce conflit lui est tellement insupportable, pourquoi ne s'arrête t-il pas ?
Professeur David Naggara :
S'il s'arrête il reconnaît implicitement qu'il a eu tort d'aller jusque là. En continuant, il justifie tout ce qu'il a fait
jusqu'à présent.
Après que la personne attachée à la chaise se soit mise à crier alors qu'elle
venait de recevoir une décharge de 180 volts.
Procureur Henry Volney :
C'EST INTOLÉRABLE ! MÊME AU NOM DE LA SCIENCE VOUS N'AVEZ PAS LE DROIT DE FAIRE ÇA ! AUCUNE LOI NE VOUS Y AUTORISE !
Professeur David Naggara :
Gardez votre calme monsieur le procureur. Ces appareils sont entièrement factices. Il n'y a absolument aucun courant
électrique entre le pupitre de monsieur Despaul, et la chaise de monsieur Rivoli. Mais monsieur Despaul n'en sait rien.
Monsieur Rivoli a beaucoup de talent. N'est-ce-pas ? Il fait partie de notre équipe. Naturellement il est indispensable que
les candidats que nous recevons soient toujours moniteurs.
Après que le procureur Volney soit retourné dans le bureau du professeur Naggara
en compagnie de celui-ci.
Procureur Henry Volney :
Vous avez beaucoup de sujets qui sont allés jusqu'à 405 volts ?
Professeur David Naggara :
En moyenne, 63 % des sujets sont obéissants. C'est-à-dire qu'ils acceptent totalement le principe de l'expérience, et vont
jusqu'à 450 volts.
Un peu plus tard.
Procureur Henry Volney :
Mais dans le cas d'un génocide par exemple. Quand un tyran décide de tuer froidement cinq six millions d'hommes, de femmes,
d'enfants ; il lui faut au moins un million de complices, de tueurs, d'exécuteurs. Comment arrive t-il à se faire obéir ?
Professeur David Naggara :
En morcelant les responsabilités. Un tyran a besoin avant tout d'un état tyran. Alors il va recruter un million de petits
tyrans fonctionnaires, qui auront chacun une tâche banale à exécuter. Et chacun va exécuter cette tâche, avec compétence ; et
sans remords. Car personne ne se rendra compte, qu'il est le millionième maillon de l'acte final. Les uns vont arrêter les
victimes. Ils n'auront commis que de simples arrestations. D'autres vont conduire ces victimes dans des camps. Ils n'auront fait
que leur métier de mécanicien de locomotive. Et l'administrateur du camp en ouvrant ses portes, n'aura fait que son devoir de
directeur de prison. Bien entendu on utilise les individus les plus cruels dans la violence finale. Mais à tous les maillons
de la chaîne, on a rendu l'obéissance confortable.
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