Socrate : Est-il plus grand mal pour une cité que ce qui la divise et la rend multiple au lieu d'une ? Est-il
plus grand bien que ce qui l'unit et la rend une ?
Glaucon : Non.
Socrate : Eh bien ! la communauté de plaisir et de peine n'est-elle pas un bien dans la cité, lorsque,
autant que possible, tous les citoyens se réjouissent ou s'affligent également des mêmes évènements heureux ou
malheureux ?
Glaucon : Si, très certainement.
Socrate : Et n'est-ce pas l'égoïsme de ces sentiments qui la divise, lorsque les uns éprouvent une vive
douleur, et les autres une vive joie, à l'occasion des mêmes évènements publics ou particuliers ?
Glaucon : Sans doute.
Socrate : Or, cela ne vient-il pas de ce que les citoyens ne sont point unanimes à prononcer ces paroles : ceci me
concerne, ceci ne me concerne pas, ceci m'est étranger ?
Glaucon : Sans aucun doute.
Socrate : Par conséquent, la cité dans laquelle la plupart des citoyens disent à propos des mêmes choses : ceci me
concerne, ceci ne me concerne pas, cette cité est excellemment organisée ?
Glaucon : Certainement.
Socrate : Et ne se comporte-t-elle pas, à très peu de chose près, comme un seul homme ? Je m'explique : quand un
de nos doigts reçoit quelque coup, la communauté du corps et de l'âme, qui forme une seule organisation, à savoir celle de son
principe directeur, éprouve une sensation ; tout entière et simultanément elle souffre avec l'une de ses parties : aussi
disons-nous que l'homme a mal au doigt. II en est de même de toute autre partie de l'homme, qu'il s'agisse du malaise
causé par la douleur, ou du mieux être qu'entraîne le plaisir.
Glaucon : II y a nécessité qu'il en soit ainsi dans une cité aux bonnes lois.