La passion de détruire
Pour conclure cette analyse du caractère d'Hitler, quelques mots préciseront utilement le dessein que j'ai eu
d'incorporer à cette étude un matériel assez lourd comme je l'ai fait pour Himmler. En dehors du but théorique évident
qui est d'éclaircir le concept du sadisme et de la nécrophilie en présentant des illustrations cliniques, j'avais une
autre perspective : dénoncer la principale erreur qui nous empêche de reconnaître les Hitler en puissance avant qu'ils
aient découvert leur vrai visage. Cette erreur consiste à croire qu'un homme parfaitement destructif et mauvais doit
être un démon - et en avoir la mine ; qu'il doit être dépourvu de toute qualité positive ; qu'il doit porter le signe
de Caïn d'une façon si évidente que n'importe qui peut reconnaître de loin sa destructivité. De tels démons existent,
mais ils sont rares. Comme je l'ai dit plus haut, l'individu intensément destructif offrira le plus souvent une façade
de bonté, de politesse, d'amour de la famille, des enfants, des animaux ; il parlera de ses idéaux et de ses bonnes
intentions. Mais il n'y a pas que cela. On aurait beaucoup de mal à trouver un homme qui serait totalement privé de
bonté et de bonnes intentions. S'il existait, à moins d'être un " idiot moral " congénital, il serait au bord de la
folie. Donc, tant que l'on croira que l'homme mauvais porte les cornes du diable, on ne le découvrira pas.
La croyance naïve que l'homme mauvais est facilement reconnaissable aboutit à un grave danger : celui de nous
rendre incapables d'identifier les hommes mauvais avant qu'ils aient commencé leur oeuvre de destruction. Je crois que
la majorité des gens n'a pas le caractère intensément destructif d'un Hitler. Même si on peut estimer que de tels
individus forment 10 pour 100 de notre population il y a parmi eux suffisamment d'individus qui seront très dangereux
s'ils acquièrent de l'influence et parviennent au pouvoir. Evidemment, tout être destructif ne deviendra pas
nécessairement un Hitler, parce qu'il lui manquera les talents d'Hitler ; il pourra se contenter d'être un SS efficace.
Mais, d'autre part, Hitler n'était pas un génie, et ses talents n'étaient pas uniques. Ce qui était unique, c'est la
situation sociopolitique qui lui a permis de s'élever ; il y a probablement parmi nous des centaines d'Hitler qui
n'attendent que leur heure historique pour se manifester.
L'analyse objective et exempte de passion d'un personnage comme Hitler n'est pas seulement inspirée par la
conscience scientifique ; elle est aussi le moyen d'apprendre une leçon importante pour le présent et pour l'avenir.
Toute analyse qui déformerait l'image d'Hitler en le privant de son humanité ne ferait qu'intensifier la tendance à
être aveugle aux Hitler en puissance, à moins qu'ils ne portent les cornes du diable.